lundi 31 mars 2014

Le Train pour Quequ'Part

Proposée pour un concours sur le thème "Terre Inconnue", c'est un texte tout à fait expérimental, parce que je voulais tenter un nouveau truc, pour voir... Quelque chose d'un peu imagé, un peu plus "philo" si j'ose dire xD ! J'espère que ce n'est pas trop soporifique... 

Je ne sais plus si je suis secoué ou bercé, si je voyage ou si l’on m’enlève, si je dors ou si je meurs.

Je ne sais plus ce que je cherchais, lorsque je suis monté dans ce train. L’aventure. Le changement. Le trouble, ou l’inattendu. Un peu tout cela ? Sans doute courrais-je après ma spontanéité perdue. Sans doute voulais-je m’extirper de cette nasse grisâtre dans laquelle je flottais, informe, sans identité, comme tant de mes semblables.

Je soupire et me redresse sur ma couchette, courbé, car mon volumineux voisin du dessus creuse son matelas au point que je sois surmonté d’un globe de ressors tordus. Il est arrivé il y a peu, sa mine ronde réjouie par le courage, blottis entre ses mains, qu’il avait laborieusement rassemblé pour entreprendre son voyage. Avant lui, c’était jeune femme au look original. Elle a disparu, comme nombre de passagers du Train. Beaucoup montent, peu descendent ; pourtant, il y a toujours de la place.

Cela fait un bon moment, pour ma part, que je suis monté. Que je regarde ces passagers défiler, ne compte plus les arrêts et vois les mornes paysages se succéder. Morne. Tout est morne, autour de nous. A perte de vue ce ne sont que des couleurs terres, un sol sec, plat et vide. Pas un brin de vie. De temps à autres, une gare est plantée dans ce vaste désert, petit tas de verticales, posé comme une grossière rature sur cette ligne parfaite.
J’ai attendu un différent : je voulais de riches jardins pleins de verdure, un lac frais et scintillant, une pluie blanche et un soleil doux. Et puis, les stations passantes, j’ai juste souhaité un signe. Un arbre, une mare, ou même un rétif bosquet d’épines sèches. Mais rien. Rien que ce parfait horizon.

Je me lève, m’étire machinalement et franchis le pas sans porte de mon compartiment. Le couloir du Train est étroit, et adossés au mur de leur box respectif, des passagers à l’air absent regardent par les fenêtres, espérant eux aussi voir le signe. Aucune parole. On entend le bruit de leurs corps changeant de position, et le roulement du Train. C’est tout. En tendant l’oreille, j’entends pourtant un différent. Une chansonnette. Là, à l’envers de l’alignement de ceux qui attendent, recroquevillé sous une vitre, je trouve mon seul ami : un gosse d’une dizaine d’années, Clou.
Lorsqu’il me voit, il me sourit et se lève. Je souris à mon tour, avec la sensation de craqueler un masque d’argile sur mon visage trop souvent immobile.
- Qu’est-ce que tu fais ? me demande-t-il d’une voix claire.
Une voix claire qui semble ricocher dans tout le couloir, comme une impudente goutte de pluie sur des roches grises, ternes et silencieuses. La plupart des passagers ne sourcillent même pas, emmitouflés dans cette étrange léthargie rythmée par le ronronnement du Train. Les autres sursautent légèrement, à peine. Un seul joint son sourire aux nôtres, et semble s’en étonner. Clou me regarde bien droit dans les yeux, il attend que je lui réponde. Quelle drôle de question. Je voudrais parler mais rien ne me vient… Qu’est-ce que je fais ?
- Si je le savais, je ne serais pas dans ce train… souffle-je.
Alors il rit, chose étrange, ici, me prend par le bras et me raconte, une fois encore, la destination de ses rêves. Clou veut voir la mer. Depuis que je le connais, c’est son sujet favori : la mer. Alors je lui en parle, moi qui l’ai vu, dans une autre vie. En échange, lorsque je lui conte mes rêves de jardins, il me vante le petit baquet de géranium qui était accroché au balcon de son immeuble.
On parvient à en parler des heures durant. Des heures. Ce sont les seules fois où je les sens passer, les heures. A croire la berceuse du Train a endormi le temps lui-même, mais qu’il s’éveille doucement pour écouter notre conversation.
Et Clou se met à bailler, et dodeline de la tête. Alors je le prends dans mes bras, je le ramène à son compartiment, et je le borde.
Voilà. Maintenant, je suis assis sur le bord de sa couchette, je le regarde dormir. Clou est différent. Il était là bien avant moi, et croit toujours qu’il peut trouver la mer. Ça le fait rêver, rire, conter des histoires… Il s’amuse de tout. Que fait-il dans le Train ?

Je retourne dans le couloir et je m’aligne, comme les autres, face aux fenêtres. Mes yeux glisse sur l’horizon, rien ne les accroche. Je m’attends à sombrer dans la somnolence générale mais quelque chose me titille et me tient bien éveillé. La question de Clou : qu’est-ce que tu fais ?
Oui. Qu’est-ce que je fais ?
Rien ? Rien.
J’attends un signe. Qui ne vient pas.
Qui ne viendra jamais.

Je me mets à rire, un rire désagréable, qui fait trembler tout mon corps. J’ai l’impression d’avoir des fourmis qui mordillent ma peau, et mon cœur me fait mal. Je ris longtemps, je crois. Je ne sais pas. Le temps ne passe pas dans ce maudit Train, le jour ne succède jamais à la nuit, tout est gris, en permanence.
Le Train ralentit, et s’arrête. J’ai l’impression d’un silence plus absolu encore que d’ordinaire, qui pèse sur mes tympans de façon insupportable. Lourd, mais fragile. Il me semble qu’un souffle pourrait le rompre.
Là. Tout de suite.
C’est un Instant. Mon Instant.
Qu’est-ce que je fais ?

L’alarme du train retentit, les limbes dans lesquelles je suis plongé se déchirent. Le silence vole en éclat et je m’élance, cours à grandes enjambées, bouscule des passagers et enfin…
Je sors
Derrière moi, les portes du Train se referment, je l’écoute s’éloigner.
Face à la station, seul, je m’accroche, tends l’oreille à l’extrême, jusqu’à ce que même mon esprit ne puisse plus se leurrer : le Train est parti. Et j’en suis descendu.
Je sens la panique poindre : je suis seul, au milieu de nulle part. Un fol instant, j’envisage d’attendre, au cas où le Train repasserait. Mais je le sais : il faut avancer.

*
Je n’ai ni faim. Ni soif. Ni chaud, ni froid. J’avance.
*
Je suis la seule impureté de ce terrible plat. 
Je suis debout sur le monde, liant le ciel à la terre, croisant l’horizon.
*
Le temps ne passe pas plus ici que dans le Train, je crois avoir une idée de l’éternité.
*
L’ennui me rendra fou.
*
Cela fait une vie que je marche, la Terre pousse mes pieds, je ne pense plus.
*
Je suis détendu, j’arrête de lutter contre l’ennui. Je lâche prise.
*
Ma tête s’ouvre, elle contient un ciel entier.
*
Mes yeux se promènent sur cette immensité, ils apprécient de caresser cette ligne si pure. C’est ainsi qu’ils la trouvent. 
La graine.
*

J’ai creusé longtemps, à mains nues, l’endroit où j’ai trouvé la graine. Je me disais que, peut-être, je trouverai de l’eau. La terre se brisait par bloc sous mes coups, je la délogeais comme j’aurais délogé des briques d’un mur au ciment fissuré. Et comme lorsque je marchais, le labeur s’éternisant, j’ai cessé de penser. J’ai lâché prise. Je ne sentais plus mes mains blessées. Elles creusaient pourtant. Inlassablement.
J’allais
Trouver de l’eau.

La lumière du jour baissait. Bientôt, il fit nuit. Nuit. Une douce fraicheur, une humidité latente, le noir reposant que mes yeux accueillirent avec soulagement, et, pour guider mes mains, les étoiles, comme autant de petites lanternes blanches accrochées dans la toile d’encre du ciel.
La nuit s’est répandue comme une onde de vie sur la terre. Je m’y sentais bien, comme dans une matrice, bercé par le scintillement au dessus de ma tête, embrassé par ce doux cocon aux lumières tamisées.
Et puis, tout s’est éclairci. Une lueur bleue s’est levée.
Un jour était passé.
Le tout premier.
Je sentis les plaies de mes mains protester alors qu’une terre molle s’y agrippait.
De la boue.
De l’eau.
J’ai senti des larmes rouler sur mes joues, alors qu’une vague de plénitude déferlait sur moi, un soulagement si soudain, si total, que j’ai pleuré comme un enfant. J’ai planté la graine, et je me suis allongé sur le sol, regardant le ciel. Les nuages filaient. J’ai fermé les yeux et je me suis endormi.

*

Cela fait six-cents vingt-deux nuits qui passent. C’est l’aube. Je sors de ma cahute, et je respire profondément l’air qui m’entoure. Ça sent la terre, l’humus, l’écorce, le sable et l’eau.
De ma graine, un arbre a poussé, un figuier. A son pied, le trou que j’ai creusé a donné le lac dont je rêvais, autrefois, dans le train.
Le début fut difficile, si l’arbre a poussé vite, avec ses premiers fruits, la faim et la soif sont revenues. J’ai fait de nombreuses excursions, loin de mon figuier, et j’ai trouvé de nouvelles graines. J’ai travaillé dur, la fatigue m’écrasait chaque soir. Plusieurs fois, il m’a semblé apercevoir, au loin, les lueurs des fenêtres du train passer. J’ai été tenté d’aller le rejoindre… Mais j’ai tenu bon. Petit à petit, j’ai instauré quelque chose de viable. Je travaillais rudement, mais je ne manquais plus de rien. Et un beau jour, je me suis trouvé heureux. Là, ici et maintenant, j’étais heureux. Heureux de voir pousser mes chères plantes, heureux d’échanger mes soins contre leurs fruits, leur ombre, leur parfum, heureux d’être, tout simplement, un élément de ce cycle qui s’installait. J’ai bâti une solide cahute, près du lac, et j’ai vécu paisiblement.
Mais cette nuit, j’ai rêvé. Voilà qui ne m’était plus arrivé depuis longtemps. Une seule phrase m’est restée, quelques simples mots :
Qu’est-ce que tu fais ?
J’y a répondu aisément : je vis.
Je vis.
Pourtant, alors que je me promenais dans mon jardin aujourd’hui, inspectant mes plantes, j’ai découvert sept arbres morts. Les jours passants, l’odeur du lac s’est faite rance et toutes les couleurs se sont ternies alors que chaque nuit, j’entendais une petite comptine à mon oreille, qui se terminait toujours sur ces mots : qu’est-ce que tu fais ?

Clou.

Son nom, son visage et son chant me sont revenus en mémoire. Clou. Comment ai-je pu l’oublier ?
Clou
Me manquait.

Ainsi, le jardin a fané, de plus en plus vite. J’errais dans des plantes mortes qui s’effritaient, la voix de Clou résonnait partout autour de moi. Mon ami, mon petit frère. Clou. J’étais bien seul, sans sa douce espièglerie. J’ai marché, longtemps. Mon jardin était plus grand que je ne l’aurais cru. Il tombait en poussière que le vent faisait tournoyer autour de moi. Clou.

*

Je soupire et me redresse sur ma couchette. Me revoilà dans le Train. Hier, le seul qui soit passé depuis, j’ai trouvé la gare, et je suis remonté. Massant ma nuque endolorie, je sors dans le couloir. Clou est là, assis face à la ligne de fantômes. Il leur parle, fait comme s’ils répondaient. Je l’appelle, et son visage s’éclaire :
- Te voilà enfin ! s’exclame-t-il.
A-t-il sentit le temps passer… ? Clou est si différent. Je souris, l’aide à se lever, et le prend par le bras. Il m’agrippe fort.
Le Train ralentit, et s’arrête. Je regarde mon ami. C’est maintenant, ou la berceuse m’aura de nouveau.
- Viens, Clou, on va voir la mer.
Lorsque le Train repart, nous ne sommes que deux sur le quai. Je ne l’écoute pas s’éloigner : Clou s’est mis à courir loin de la station et déjà, j’ai l’impression de respirer un vent marin.
Tout n’est plus si loin.

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