Cette nouvelle a toute une histoire... Partie d'une description qui ne se voulait rien d'autre qu'une description, adaptée pour une histoire, abandonnée, puis réutilisée dans le cadre d'un concours de nouvelle sur le thème de "la ville" sans remodeler son contenu ; c'est finalement un texte en deux parties bien distinctes. Il y a d'abord ladite description, donc, puis l'histoire ! Sans ambition, vraiment pour dérouiller ma plume et m'amuser, voici une petite nouvelle inspirée par un tableau de Hopper (ne l'y cherchez plus xD) et le dessin animé "Nocturna".
C’était l’une des plus grosses villes de la
région. Buildings et flèches partant à l’assaut du ciel se disputaient le
terrain avec de tenaces et majestueux manoirs d’époques qui semblaient rire du
simple et basique cubisme de leur voisins. « Trop grands pour ne pas paraître
maladroits », ricanaient-ils en dressant fièrement leurs petits toits pointus.
Une belle société y
évoluait, des messieurs et dames en costume et tailleurs avançaient à petits
pas pressés dans les rues, hélant un taxi ou montant dans leurs voitures
rutilantes. Ils se rendaient à leur bureau, pour la plupart, petite case
translucide perdue parmi les autres dans l’une de ces tours monstrueuses qui
semblaient à la fois si mal dégrossies à côté du patrimoine, et si élégante
quant à leur radieuse ambition de flirter avec la voûte céleste.
Cette ville ne dormait
jamais : le matin appartenait aux gens sérieux et responsables, convergeant
tous vers leur lieu de travail, s’arrêtant ici et là boire un café si le temps
-le temps !- le leur permettait, ouvrant un journal et poussant de théâtraux
souffles exaspérés devant les nouvelles pourtant si terriblement redondantes… Le
midi, c’était tout le monde confondu qui envahissait les rues : employés,
écoliers de tout âge et lève-tards sortaient chacun de leur tanière plus ou
moins douillette pour se remplir le ventre et prendre un bon bol d’air frais.
L’air frais d’une ville traversée de long en large par les pots d’échappement
des trop nombreuses voitures qui klaxonnaient sans arrêt, comme reprenant
rageusement le refrain traditionnel de toutes les grandes cités. Le soir aussi
appartenait à tous : un petit verre de détente avant de rentrer, un cinéma pour
tromper la monotonie d’une vie, une conférence pour la soif d’apprendre, de
longues discussions avec un collègue à la croisée de deux lotissements…
La nuit en revanche,
c’était l’heure du bruit pour le bruit, des danses, de l’exaltation, de tout ce
qui n’est pas permis et qu’importe ! il est plein de cachettes dans une ville
aussi grande… La nuit ressemblait à un ballet chorégraphié par un danseur fou,
une partition abstraite composée par un musicien infernal, un tableau peint par
un dadaïste de génie jetant sur la toile tout ce que conscient et inconscient
mêlés pouvaient lui suggérer. Les trois, ensemble, créaient une œuvre
majestueusement démente.
Un carnaval bigarré.
Un cortège d’aliénés
dansotant en tous sens,
Une procession sans queue
ni tête délirant dans les mêmes couleurs et s’égayant sans peur d’une fin
qu’ils refusaient d’envisager.
Une fête d’envolés à
l’échelle d’une ville.
C’était l’une des plus
grosses villes de la région. L’une des plus soumise à cette folle boucle
accélérée de la vie, l’une des plus contrastée, des plus étrangement vive et
monotone à la fois…
Et tout autour, dans sa
proche banlieue, comme une douve paisible encerclant de terrifiants remparts,
comme un petit et humble marchepied circulaire autour d’une estrade bariolée,
une orée clairsemée autour de l’épaisse et dense forêt… Tout autour se
greffaient les modestes quartiers de ceux qui n’adhéraient pas à la danse
endiablée de la cité ou qui avaient été rompus par elle. Là-bas, tout semblait
calme et posé, c’était autant de petits villages voisins où chacun connaissait
ses prochains, où tous épiaient, portaient et rapportaient de pétillants potins
les uns sur les autres avec une feinte hypocrisie et une franche camaraderie.
C’était l’ambiance conviviale mais lourdes de petites histoires croustillantes
de ceux qui vivent les uns contre les autres, avec des caractères trop
différents pour s’entendre, mais trop futés pour refuser les tacites compromis.
Ils étaient comme les exclus d’une époque trop futuriste, trop rapide, trop
essoufflante, qu’ils laissaient derrière eux, prenant bien soin de ne pas
empiéter sur son territoire, mais profitant néanmoins de sa prospérité et sa
demande d’emploi. Ceux devant se risquer dans la cité pour aller travailler étaient
les téméraires et courageux aventuriers qui plongeaient dans une jungle vorace
pour quérir quelques trésors, avant de revenir, terrassés, mais heureux de
rentrer après leurs prouesses dans leur paisible pavillon sans danger. C’était
un peu comme prendre son souffle avant de passer le périphérique, rester en
apnée la journée durant, et avaler enfin une grande goulée d’air en regagnant
la banlieue.
Et c’est vers cette calme
banlieue, nommée plus communément les Douves, que la Ville tournait présentement
son regard, retenant son souffle. Ceci avait un effet désastreux sur ses
habitants qui toussaient rauque à chaque pot d’échappement et éternuait au
moindre pas soulevant la poussière sombre des trottoirs. Qu’importe, la Ville
ne voyait qu’une chose : Korégraph était encore dans les Douves. Les Douves
n’aimaient pas la Ville, et refusaient de la laisser entrer : impossible pour
elle de savoir ce qu’il s’y passait. Après un dernier bronchement boudeur qui
roula comme un coup de tonnerre dans ses rues, la Ville se redressa et reprit
une respiration plus calme. Il était encore tôt et bien vite, elle oublia ses
malheurs pour observer attentivement ses petits citadins : ils étaient beaux,
ce matin. Tout frais, tout dynamiques, tout… oups, non, celui-ci titubait et
baillait à s’en décrocher la mâchoire. Mais cet homme au port fier qui pressait
le pas dans son costard bien taillé, et cette adolescente à la démarche assurée
secouant ses boucles brunes en cadence avec le rythme pulsant dans son casque !
La Ville adorait observer ses habitants, les suivre comme leurs ombres, capter
leur moindre attitude, deviner leurs pensées… Elle veillait jalousement sur ces
petits êtres qui étaient venus la rejoindre, ou étaient nés dans son ventre.
Elle les câlinait dans son étreinte de ville, leur donnant mille et une chose à
voir, écouter, sentir, les perdant dans ses méandres comme une mère promènerait
son rejeton dans sa poussette, lui faisant découvrir un peu de tout et de rien.
Certes, ils ne regardaient pas souvent mais qu’importe, ces petites attentions
lui faisaient plaisir, et puis Koregraph remarquait ses efforts, lui.
Koregraph… Un coup de
vent balaya une avenue alors que la Ville soupirait. Elle s’ennuyait de lui. Il
était son préféré. Il était né alors qu’elle était toute jeunette et ne l’avait
jamais quittée ! Ça faisait longtemps, maintenant. Il était devenu un peu
différent des autres depuis, mais qu’importe, c’était Koregraph.
Elle suivit, morose, un
homme entre deux âges et tenta d’ébouriffer ses cheveux trop méticuleusement
coiffés à son goût…
… puis s'immobilisa près
d’une grand-mère, faisant passer devant elle le feu piéton au rouge, pour
qu’elle s’arrête et puisse ainsi…
… rencontrer sa
pâtissière préférée, qui arrivait juste derrière…
… un garçon d’une
quinzaine d’années qui les dépassa à toutes jambes, profitant de ce que les
voitures n’aient pas encore redémarré. La Ville fila à sa suite et alors qu’il
reprenait une marche normale, elle fit rouler à ses pieds une jolie pièce
bizarrement trouée qu’elle avait fauchée la veille à un visiteur sympathique,
comme souvenir de son passage. Alors que le garçon ramassait son cadeau,
intrigué, la grand-mère bougonna depuis le trottoir d’en face sur l’imprudence
de la jeunesse, faisant rire sa pâtissière et redonnant un peu le moral à la
Ville.
Un vrombissement la
secoua alors que soudain, son rythme s’accéléra, comme brusquement porté par
une musique plus entrainante, les notes s’accrochant à la partition, les
musiciens s’harmonisant et les danseurs trouvant leur cadence : on sortait de
chez soi, on allait à la boulangerie, au travail, au café, chercher son
journal, on promenait son chien, on courrait après un bus, certains même se
contentaient de flâner au hasard et tous se croisaient, partaient dans des sens
opposés, revenaient, voltaient dans une rue et hop, un arrêt pour un petit duo
avec une connaissance, puis zoum !, repartaient valser seul plus loin. La Ville
bondit de joie, tirant tous ses habitants des dernières brumes du sommeil, et
fondit sur son petit protégé préféré qui s’affairait au sommet d’un toit : la
première danse du long ballet de la journée débutait. Korégraph était de
retour.
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