lundi 31 mars 2014

Le rire de la Banshee

J'avais commencer ce texte, l'an dernier, pour un concours du type "histoire d'amour", ce qui n'est pas spécialement mon fort et... j'ai un peu dérivé... Pire : je ne l'ai jamais terminée. Mais un jour, un jour...

Bon alors… J’suis dans un beau pétrin, et c’est pas peu de le dire. Là, si je respire… Je vais mourir. Si je ne respire pas non plus, c’est tout de même con comme situation. Un choix capital s’offre à moi : périr par asphyxie, ou comme égérie d’une œuvre macabre abstraite plus ou moins sanglante selon le goût de l’artiste qui, pour preuve de son total manque d’intérêt pour un quelconque esthétisme, se promène un boulet au pied, vêtu d’un torchon noir –sans doute une bure dans un passé aussi sinistre que lointain- et entasse ses condamnés dans une brouette grinçante.
Un Lancou.
Ca fiche les jetons, croyez-moi, je suis étonnamment bien placé pour le savoir. C’est grand, c’est moche, c’est un squelette, ça cliquette de partout et histoire de parfaire le stéréotype, ça se promène avec une lanterne jaunâtre pour un effet encore plus glauque. Seule attitude à tenir lorsque l’on entend la chaine du boulet d’un Lancou tinter : trouver un fossé, s’aplatir et faire le mort. Ou plutôt, l’inexistant. Un inexistant, ça ne respire pas. Mes poumons vont éclater, et je suis trempé d’une sueur glacée qui paralyse jusqu’à la moelle de mes os.
Le Lancou passe… Je vais cracher mon estomac, cet imbécile se tortille pour échapper à la puissante main de l’angoisse qui a décidé de le réduire en bouillie… Ca va allez… Le Lancou ne m’a p…
Il s’arrête.
Mon cœur aussi. Et mon sang. Et le temps. Même la Terre, j’en suis sûr. Plus rien ne cliquette, il a dû me sentir –grand mystère que l’odorat de ces tas d’os sans nez-, il attend que je me trahisse.
Il est temps de choisir : asphyxie ? Steack Tartare ? Je la jouerai bien à pile ou face mais ça minimiserait encore mon espérance de vie… Je ne sens plus ma tête, elle va exploser. Mes poumons appellent de l’air. Bientôt, je vais bouger. Un de ces mouvements brusques, ces spasmes de l’instinct qui nous secouent pour survivre.
Fatalité.
Alors… Comment vais-je mourir ? A quelques centaines de mètres de ma maison, embourbé dans un caniveau gelé dans l’air froid du mois d’octobre et la bruine de cette funeste soirée ? Grandiose, vraiment.
Détonation.
Comme un détonation. Soudaine, puissante, retentissant sur tous les arbres, s’engouffrant violemment sur le chemin et balayant le Lancou d’une rafale acérée. Même lui en tressaille. Comme le premier coup de tonnerre d’une furieuse tempête dans une atmosphère orageuse, lourde, calme. Trop calme. Un hurlement déchirant, aigu, qui brise le silence en un millier d’éclats tranchants qui pleuvent sur toute sa portée et écorchent les auditeurs. Un hurlement de rire cristallin et grinçant, pur et hystérique, un ongle sur un tableau noir, dissonant aux notes pourtant si enjôleuses. Beauté difforme. Un rire de folle. Un esprit possédée par une démence au delà de l’imaginable, venue d’ailleurs.
Le rire d’une Banshee.

*

Stop. Flash back. Après tout, c’est le moment ou jamais de revoir ma vie en accéléré. Et puis… Je crois que je suis tombé dans les pommes, ça nous occupera d’ici à ce que je me réveille.
Commençons par le début : je m’appelle Armel, j’ai vingt-cinq étés et je suis ébéniste. Du moins, en devenir. Je travaille pour l’atelier d’Olier, le chic type qui m’a tout appris et qui me laisse même faire ses commandes importantes avec une confiance qui fait plaisir à voir. Avant de croiser ce maudit Lancou qui m’a peut-être déjà tué dans mon inconscience, j’économisais pour ouvrir mon propre atelier, et j’avais bon espoir d’y arriver, le dernier travail que j’avais à faire était bien payé et promettait de me forger une petite réputation s’il était à la hauteur, ou plutôt, bien plus haut, que les attentes des commanditaires. Il s’agissait d’un escalier, une simple escalier à sculpter, pour des Nobles qui avaient un goût prononcé pour les belles choses finement ciselées et dont les relations à conseiller pour d’éventuels ouvrages n’auraient pas été de trop sur mon répertoire tout neuf de jeune homme essayant de se lancer. Olier m’a confié ce client pourtant exigeant parce qu’il avait trop de boulot sur les bras et, plutôt que de les faire attendre, il a décidé de me donner ma chance.
J’ai rencontré la famille, une de ces familles anciennes dont le nom et le sang se perdent dans les méandres du temps jusqu’à sa naissance même. Ils avaient emménagé depuis quelques semaines dans un manoir un peu éloigné de la ville et décidaient de lui donner un coup de frais. L’escalier que je devais rénover était en aulne, petit, en colimaçon, terne et menait d’un petit salon jusqu’au palier d’une chambre. On m’a dit de faire quelque chose de gai et on m’a laissé travailler. Quelque chose de gai… larges possibilités qui s’offraient à moi… Quelque chose de gai… sur un escalier… A qui était cette chambre au dessus ? Etait-elle seulement habitée ? Devais-je tenir compte des goûts et des couleurs de son hypothétique occupant ? J’ai posé ma caisse à outils, je me suis assis en face de mon escalier, mine de plomb en main, et j’ai commencé à gribouiller quelques esquisses de ce que je pourrais bien en faire sur un bloc. La journée est passée vite et la gouvernante est venu me prévenir que la nuit tomberait bientôt : le couvre-feu sonnerait dans une heure. On ne plaisante pas avec le couvre-feu : il annonce la sortie de créatures telles que l’on aimerait mieux éviter leur chemin. Je suis donc rentré chez moi, dans la chambre que je loue depuis deux ans, au dessus d’un bar bruyant et j’ai continué mes esquisses.
Le lendemain, je suis retourné au manoir avec une brouette d’outils et je me suis installé consciencieusement pour travailler. J’étais très impliqué dans mon travail, j’ai englouti rapidement l’encas que m’a amené une domestique et c’est là la seule réelle pause que j’ai faite jusqu’au soir. Le lendemain fut semblable à la veille, et le surlendemain, et le jour d’après, et la semaine qui suivie. Je ne m’en lassais pas : pour une raison qui m’échappait et qu’à vrai dire je n’essayais pas de trouver, l’escalier me fascinait et le sculpter devenait pour moi une véritable passion. Plus les jours passaient, plus je croyais devenir aveugle et sourd à tout ce qui n’était pas mon travail. Le monde s’inversait lorsque je devais repartir et j’étais alors incapable de me souvenir précisément de ce que je venais de créer… Ca me rendait ivre de frustration jusqu’à ce que je retrouve mon ouvrage et la boucle se répétait inlassablement. Je croyais travailler dessus depuis des mois alors que dix jours à peine s’étaient écoulés.
Dix jours. Ce fut la première fois que je vis la porte de la chambre s’ouvrir… J’avais entendu de temps à autre des sons qui m’avaient convaincus que la pièce était habitée, mais plongé de mon escalier d’aulne, j’avais oublié de m’étonner quant à l’ascétisme de son occupant… c’est pourquoi je fus stupéfait de voir cette porte s’ouvrir… Et je restais béat, l’air aussi idiot qu’un poisson en train de bailler, devant la créature qui apparut sur le palier… C’était une jeune femme d’une beauté si singulière, si stupéfiante et différente à la fois, si parfaite et détonante qu’elle gênait autant qu’elle attirait. Elle avait un visage d’une incroyable finesse aux traits fragiles, modelés d’une main rendu adorablement fébrile par une passion fiévreuse quant à l’ange qu’elle créait. Son front large, son nez plat, ses hautes pommettes, ses lèvres pulpeuses, son menton fier et pointu, et ses yeux ronds immenses lourdement ourlés de cils de velours… Un long cou, comme les danseuses, de frêles épaules pourtant bien droites, des formes courbes et harmonieuses pourtant peu mirobolantes, de longs bras fins, des jambes immenses… Une silhouette menue, fragile, mais élancée.
Entièrement blanche.
Sa peau, ses cheveux, ses iris, ses lèvres… D’un blanc pur, opalescent, sans une once d’une quelque autre teinte. Elle était belle, à sa manière. Belle, mais effrayante. De ces beautés polaires, de ces beautés qui semblent venir d’ailleurs, de ces beautés qui laissent frappés mais qui dérangent. Elle était dérangeante. Et je n’hésitais pas une seconde pour définir le pourquoi : elle était l’une des filles de la Mort elle-même. Une Banshee.
Elle referma doucement la porte derrière elle, fit volte face, sa robe immaculée toute simple tournoyant autour d’elle, et s’arrêta sur le seuil de l’escalier. Elle cramponna ses orteils nus sur la première marche, esquissa un étrange sourire rêveur et s’assit, genoux ramenés contre sa poitrine. Absolument adorable. Je n’osais pas bouger, de peur de briser cette apparition : une fille de la Mort qui souriait comme une enfant devant un escalier en travail. Elle leva une main fine sur la rampe et caressa les grossières formes que j’avais commencé à y graver.
Et elle me vit.
Elle se redressa d’un bond, effrayé, mains derrière le dos et l’air… confuse ?
- Euh… Bonjour, trouvais-je à dire
Elle me répondit par un sourire timide, inclina la tête, dévala les marches d’un pas léger et sortit de la pièce, volant plus qu’elle fuyait. J’en restais pantois… Les Banshee étaient rares de nos jours, du moins dans cette région, le plus souvent elles suivaient leur Famille et ne se montraient qu'à elles. Et comme l’on n’en voyait plus, naturellement, on avait monté dessus toutes sortes de mythes… Jamais, jamais rien ne m’avait préparé à ce qu’elles semblent si… angéliques… On me les avait décrites cruelles, sanguinaires, cinglées, cruellement et sanguinairement cinglées… Avec des dents pointues, des yeux rouges et des cheveux de sorcières filasses… Et je les découvrais petites et menues, aux cheveux certes un peu ébouriffés mais aussi voluptueux qu’une neige nouvelle née et aux jolies quenottes carrées… J’étais pourtant sûr de ne pas m’être trompé : croyez-moi, une créature de l’Ailleurs, ça se reconnaît instinctivement, et si celle-ci n’est pas une enfant du Trépas, je ne m’appelle plus Armel.

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